Subvertir le signe

   Les œuvres de Selim Ben Cheikh n’auront pas fini d’aiguiser notre perception. Par delà l’accoutumance aux références iconiques et graphiques des éléments  patrimoniaux, dans leurs différents traitements plastiques, elles  confrontent notre regard à une transfiguration inédite de l’art de  l’arabesque et de la calligraphie. Ces œuvres alertent le récepteur  sur un risque d’esthétisme désormais convenu et qui fige l’art arabo-musulman, même des ses jeux de formes et ses émancipations  les plus modernistes. Elles  mettent en garde contre une forme d’académisme sournois qui agit par séduction patrimoniale, dans les différentes variations picturales du tracé calligraphique arabe ou  des figures ornementales traditionnelles.

L’artiste choisit d’opérer par camouflage et effacement pour interroger le regard sur l’évidence du signe et de sa charge référentielle. Pour cela, il subvertit le matériau même de la représentation, en utilisant comme medium le tissu militaire, dans l’enchevêtrement de ses tâches aux couleurs végétales ou encore  les bandes adhésives jaunes et noires qui servent à  baliser et prévenir des zones de danger et même le gyrophare avec sa lumière tournante et insistante.

Ces medium qui sont, en même temps, des dispositifs de signalement, face à la vulnérabilité de notre perception, sont aussi ceux qui inscrivent le faire artistique dans notre actualité, en état d’alerte et de vigilance. Faire avec des éléments du quotidien pour repenser son rapport au patrimoine revient à une forme de militance, une posture critique propre à  l’engagement de créer autrement, aujourd’hui, pour être en phase avec soi même. Entre disparition et  détournement se dessinera peut-être  le futur d’une réapparition, voire d’une réappropriation du signe, après tous les usages que le marché aura fait d’un art dit arabo- musulman.

Dans l’indistinction de ses figures, dissimulées sous les formes brisées du pattern camouflage, l’arabesque, en  devenir d’indécidabilité, est mise à l’épreuve comme pour marquer un temps d’arrêt à partir duquel autre chose devient possible. Dans leur indistinction, ce qui semble être des bribes de polygone étoilé ou d’écriture coufique, prises au tramage du tissu coloré ou du traçage des bandes signalétiques,  agissent comme des traces qui manifestent leur différence de l’unité originaire, au sens derridien du terme . En ne se référant plus qu’à elles-mêmes dans l’hybridation d’avec leur support, elles déplacent le sens et déjouent les significations figées, dans l’impossibilité de l’origine.

Ce qui se manifeste, c’est l’apparition de l’effacement de la trace qui n’est pas une disparition absolue, parcqu’elle est à l’œuvre, de manière spectrale et qu’elle ouvre à un avenir ; l’artiste nous la rend plus sensible par les sourates en  monochromes qui enfouissent leur traces coufiques  dans le fond blanc de l’œuvre, le temps d’une disparition, en attente de l’ouvert : «  Je suis sorti dans le blanc, voguez à ma suite » pourrait dire Selim Ben Cheikh , à l instar de Malevitch.

 

                                                                                                                           Rachida Triki

 

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